Rencontre avec la Dr Aline Frazier, lauréate de l’appel à candidatures pour le dispositif « PH recherche » 2025 qui permet de sanctuariser un temps dédié à la recherche pour les praticiens hospitaliers (PH).
Le mardi 18 mars 2025 se réunissait le jury pour l’audition des candidats aux lauréats PH recherche permettant d’accorder des temps dédiés à des projets de recherche. 6 lauréats ont été retenus à l’AP-HP. Nord – Université Paris Cité, dont la Dr Aline Frazier pour ses travaux sur la goutte.
La Dr Aline Frazier, praticienne hospitalière depuis 2015, est rhumatologue au sein du service de rhumatologie de l’hôpital Lariboisière. Après quatre ans comme chef de clinique, elle a très vite orienté sa pratique vers l’éducation thérapeutique du patient, développant notamment deux programmes phares : l’un dédié à la goutte, l’autre aux rhumatismes inflammatoires chroniques sous biothérapies. Elle a également fondé l’unité transversale d’éducation thérapeutique du patient (UTEP) dans les hôpitaux Saint-Louis et Lariboisière en 2020.
Dans le service, sous l’impulsion du Pr Pascal Richette, un nouveau parcours de soins a été mis en place pour mieux accompagner les patients atteints de goutte, une maladie encore trop souvent méconnue. « La goutte est une pathologie très fréquente qui touche environ 1 % de la population, explique Aline Frazier. Contrairement à l’idée reçue d’une maladie ancienne ou disparue, son incidence augmente dans les pays développés, en lien notamment avec l’épidémie d’obésité. » La goutte est en effet une maladie métabolique due à un excès d’acide urique, responsable de dépôts de cristaux au niveau des cartilages articulaires et parfois sous la peau. Ces cristaux peuvent provoquer des crises inflammatoires articulaires extrêmement douloureuses, et augmentent également le risque d’événements cardiovasculaires majeurs dans les mois suivant une crise.
« L’ennui, poursuit-elle, c’est que les traitements efficaces existent depuis longtemps. » Cependant, plusieurs freins sont identifiés : la maladie est parfois perçue à tort comme une simple conséquence d’excès alimentaires, et les patients n’ont pas toujours conscience de sa dimension chronique nécessitant un traitement de fond rigoureux. S’ajoutent des problèmes de sous-dosage des traitements et une mauvaise observance sur le long terme.
Le parcours de soins mis en place propose donc un accompagnement renforcé des patients dans les premières phases du traitement, afin de stabiliser durablement leur maladie. Un suivi échographique est également proposé : « À l’échographie articulaire, on peut littéralement voir la disparition progressive des dépôts de cristaux grâce à un traitement bien conduit. » Grâce à l’analyse du « double contour » sur les cartilages et d’autres signes échographiques, les médecins peuvent ainsi suivre objectivement l’évolution de la maladie.
Dans ce cadre, une structure spécifique appelée « la clinique de la goutte » a été créée. Elle offre aux patients un suivi de qualité, mais aussi la possibilité de participer à un projet de recherche : la cohorte ReViGoRe40.
Cette étude vise à tester une stratégie thérapeutique plus ambitieuse que les recommandations actuelles, en abaissant l’objectif d’acide urique sanguin à 40 mg/l (contre 50 mg/l habituellement). L’hypothèse : en abaissant plus fortement l’uricémie, la dissolution des cristaux serait accélérée, réduisant ainsi plus rapidement les symptômes et les risques associés. La cohorte prévoit d’inclure 250 patients, majoritairement suivis à Paris, mais aussi à Lille et à Rouen.
Pour mesurer l’efficacité de cette approche, les dépôts de cristaux sont évalués par échographie selon un score semi-quantitatif. Un travail méthodologique sur la reproductibilité des échographies est également en cours : « Mon premier projet de recherche sera de m’assurer que tous les échographistes évaluent les dépôts de manière fiable et homogène, explique Aline Frazier. »
Autre axe fort de son projet : l’autonomisation des patients. Dans le cadre du parcours de soins, un dispositif a été proposé : l’auto-mesure de l’uricémie à domicile, sur le modèle de l’autosurveillance glycémique chez les diabétiques. « Cela permet aux patients de suivre eux-mêmes leur évolution, de mieux comprendre leur maladie, et de devenir acteurs de leur traitement », souligne-t-elle.
Un deuxième projet de recherche est donc né : étudier l’impact de cet outil sur l’adhésion au traitement et sur le ressenti des patients, en combinant études qualitatives (entretiens individuels) et quantitatives. « Mon rêve, confie-t-elle, c’est qu’un patient me dise spontanément : « Mon taux est encore élevé, je pense qu’on doit augmenter mon traitement » — là, on a tout gagné ! »
Actuellement en phase de mise en œuvre, ces travaux sont menés en parallèle d’une collaboration avec un centre hospitalier au Vietnam, qui suit une cohorte de patients atteints de formes très sévères de goutte. Cette collaboration permettra d’enrichir les analyses en comparant les données françaises et vietnamiennes.
Aline Frazier mène ce projet avec une volonté forte : améliorer concrètement la prise en charge de la goutte, en alliant soin, éducation thérapeutique et recherche clinique.